SLOOP3: Les Morb(y)des
Poche/Gve
Mise en scène/chorégraphie:
Durée: minutes
Lieu et année de création: Poche/Gve, Genève – 2016
Y a Stéphany, pis y a Sa Sœur. Stéphany, elle aime rêver. La journée, elle tchatte avec Kevyn sur un forum de freaks et, la nuit, elle traîne dans les quartiers mal famés de Montréal. Sa Sœur, elle, elle passe son temps devant la télé à s’enfiler de la junk food, tellement qu’elle peut plus se lever du canapé. Elle sort pas, Sa Sœur. Elle sort plus. Stéphany et Sa Sœur, même si elles se disputent, dans le fond, elles se ressemblent. Elles trouvent pas leur place. Elles veulent disparaître. En fait, elles ont déjà disparu.
Sûrement la plus sombre des trois comédies québécoises, Les Morb(y)des met en scène deux sœurs, Stéphany et Sa Sœur, qui vivent coupées du monde. Souffrant d’obésité morbide, elles se dérobent aux regards, sortent la nuit ou bien se terrent chez elles sous des montagnes de paquets de chips et de pots de glace vides. Pour seules fenêtres sur le monde, elles ont respectivement la télévision et les forums de
freaks sur Internet. Deux fenêtres donc non sur le réel mais sur les mises en fiction de la société par elle-même, dont elles sont condamnées à occuper les coulisses. La pièce raconte une tentative d’émancipation de Stéphany qui, avec l’irruption de son ami virtuel Kevyn, entrevoit la possibilité de quitter son appartement en sous- sol et de remonter à la surface. Sébastien David s’empare d’un sujet de société et en propose une mise en perspective vertigineuse avec humour, tendresse et acidité.
EXTRAIT D'ENTRETIEN avec Sébastien David
Comment est née l’idée, des Morb(y)des ? Pouvez-vous nous raconter la manière dont vous avez travaillé et dont le texte s’est construit ?
Bien que la pièce ne soit pas une commande, elle est tout de même née d’une conversation avec un metteur en scène. Gaétan Paré m’appelle un jour pour discuter et finit par me demander si je veux écrire une pièce pour deux comédiennes rondes. On discute alors de Kathleen Fortin et Julie de Lafrenière et je me rappelle qu’on n’utilise jamais le mot // obèse // comme s’il était dégradant, on utilise plutôt des mots comme // atypique // ou // marginal // parce que c’est bien ainsi que sont considérés leurs corps par la société. Je me rappelle que la discussion a duré longtemps et qu’elle a bifurqué à un moment sur l’historique de nos propres corps : le mien plutôt long et mince et celui de Gaétan anciennement très enveloppé. On se raconte nos corps, leurs transformations à travers le temps, la façon qu’on a de l’habiter ou de le fuir, le regard... Et on se rend compte que si le théâtre met en scène des corps dans l’espace, il est assez rare qu’on parle de leurs sens à l’état brut. Puis, je vais faire des courses dans mon quartier, Hochelaga, et une pièce naît par à-coups. Je vois rapidement les corps de deux larges sœurs coincées dans un demi sous-sol. J’en vois une qui s’enfonce et l’autre qui veut s’envoler (je ressens déjà fortement cette verticalité de forces contradictoires). Je rappelle Gaétan le soir même et je lui dis : // Ça s’appelle Les morb(y)des //. Pendant les deux années que nécessitera l’écriture, je mélangerai tout ce qui m’entoure : l’odeur de l’usine Lallemand, les prostituées et les ruelles d’Hochelaga, le jeune Luka Rocco Magnotta qui démembre un jeune homme pour ensuite mettre la vidéo sur Youtube, la musique kitsch de Moby... C’était important pour moi de ne pas écrire une pièce didactique, je voulais être dans la chair avec tout ce qu’elle a de viscéral et d’humain.
SLOOP3
Trois comédies québécoises et un drame suédo-tunisien nous racontent les crises de l’intime contemporain. D’un côté, la radicalisation de la norme, le bonheur-marchandise, l’existence mappée par les architectes de la réussite, les designers de l’épanouissement, les ingénieurs de l’amour et les développeurs de l’indépendance. De l’autre, les démons que l’on porte en nous, nos // i-monsters //, avatars monstrueux tapis dans des recoins de plus en plus retranchés de nos êtres, qui nous dérangent et nous empêchent de correspondre-à, de nous fondre-dans, d’être reconnus-comme.
C’est au risque d’abandonner le politiquement correct, de froisser la bien-pensance et de heurter les bons sentiments que les quatre auteurs du sloop3 nous font entendre, voir et ressentir, sans concessions et dans toute sa complexité, notre (in)humanité. Pour ce faire, ce n’est pas moins de quatorze rôles que se partageront les cinq acteurs du sloop, un défi d’interprétation et de mise en scène qu’a accepté de relever le collectif d’artistes formé au POCHE /GVE pour l’occasion. D’un texte à l’autre, d’une performance à l’autre, ils nous réjouiront à la fois d’une prouesse artistique et d’une authentique pensée à l’œuvre.