Black Out

"Les priorités dans cette pièce sont essentiellement graphiques, néanmoins une trame dramaturgique vient sʼy superposer, discrètement, et dicter une progression, tant sur le visuel que sur le travail gestuel. Au début de la pièce, nous nous trouvons dans un monde blanc, surexposé, pareil au toit dʼun immeuble où trois personnes viendraient prendre le soleil, avec maillots de bain et serviettes. Viendraient bronzer, viendraient noircir. Un espace irradié, gommant lʼépaisseur des corps, les réduisant aux deux dimensions dʼune image. Un croquis en mouvement, composition mouvante des silhouettes à plat, du blanc, des couleurs vives des serviettes et des maillots. La perspective plongeante nous met en situation quasiment clinique dʼobservateurs. Cʼest un microcosme proche du nôtre que nous scrutons, fait dʼoccupations à tuer le temps, aux codes proches et à la fois indéchiffrables. La chute de la matière noire va obscurcir peu à peu tout lʼespace, et faire disparaître blanc et couleurs. Mais elle va aussi aussi redonner de lʼépaisseur aux corps. Comme dans une « évolution régressive » les trois protagonistes vont tenter de domestiquer cette invasion. Elle va sʼavérer inmaîtrisable. Progressivement, ils vont faire corps avec la matière, sʼy dissoudre, et reprendre paradoxalement puissance et vie. Images de régression, de retour aux origines, voire dʼéloge à lʼombre dont notre surexposition contemporaine nous éloigne, et avant tout travail pictural, Black Out est une pièce particulière dans mon parcours de chorégraphe. Elle sʼéloigne dʼune théâtralisation présente dans mes dernières pièces, et témoigne dʼun attachement très ancien au dessin, à lʼemploi du fusain, du graphite, de la craie grasse,… Toutes nuances de gris et de noirs, terreau dont émergent des souvenirs et bribes de corps." Philippe Saire