Platonov

De midi au coucher de soleil et le lendemain matin, dans la forêt dʼEpalinges, avec les personnages du chef-dʼœuvre russe, le temps passe et le monde dʼavant bascule. La pièce, dʼune ambition démesurée, ouvrit la modernité théâtrale par lʼampleur de son intrigue et ses personnages dépouillés de tout héroïsme. Anna Petrovna, jeune veuve, invite chaque été un groupe dʼami·e·s chez elle dans sa maison de campagne. Cet été-là, personne ne le sait encore, mais ce sera leur dernier : le domaine va être vendu pour éponger dʼanciennes dettes et le groupe va éclater. Un personnage se distingue et précipite la fin de ce monde : Platonov, aristocrate trentenaire déchu, mélancolique sans envergure dont lʼironie acerbe lui vaut admiration et crainte. Il nʼest rien, nʼa rien accompli, nʼa aucune ambition, mais il fascine. Lui-même et lʼadmiration quʼil suscite sont les symptômes dʼune époque amorphe et sans courage. Il mènera à leur perte les différent·e·s personnages de cette pièce, lui compris. Aux bavardages et autres plaisanteries qui animent de prime abord cette petite communauté estivale, succèdent bientôt les soûleries, les séductions et les regrets avant que ne survienne, presque par hasard, la mort. Il y est question dʼamitié farouche, dʼamour et de désir, de fidélité et dʼempêchement, de manque de caractère et de rêves de changement. À grand renfort de personnages secondaires, ne craignant ni les détours, ni les impasses, cette vaste pièce sʼapplique à peindre le portrait dʼune jeune société qui ne sait comment se dépêtrer de lʼhéritage impossible du monde légué par ses pères. Dans ce beau projet estival issu dʼun projet collectif au long cours – cinq étés, un par acte, passés ensemble à répéter à la campagne – chaque acte de la pièce se joue dans un espace différent de la forêt, invitant à le suivre dans une calme itinérance campagnarde. La dramaturgie intègre les paysages, les perspectives naturelles, la météo, la lumière (il nʼy a pas dʼautre éclairage), lʼattention à une empreinte écologique minimale et les éventuelles rencontres imprévues : le spectacle est lʼoccasion dʼun week-end en forêt, avec Tchekhov, le théâtre et les comédien·ne·s. Car le drame de Tchekhov se double dʼune trame parallèle, celle dʼinterprètes réuni·e·s pour répéter ce texte théâtral vertigineux. À lʼimage des personnages, interprètes et spectateurs·rices sont invité·e·s à apprécier ce temps singulier passé ensemble, quoi quʼil arrive et comme au-devant dʼun changement social nécessaire. (Crédit texte : Théâtre Vidy-Lausanne)