Chambre d'amis

Qu'est-ce qu'un ami ? Une personne que je choisis de façon délibérée et que je souhaite fréquenter sur la durée, celle d'une vie entière éventuellement. Les amitiés se fondent sur des incompatibilités. Elles évoluent, elles grandissent ou stagnent, croissent encore ou s'atténuent, elles peuvent imploser ou exploser. Je peux soigner une amitié, mais je ne suis tout à fait maître de son évolution. Au contraire d'autres relations intimes – les liens familiaux en particulier –, l'amitié a toujours à faire avec l'idée de liberté. À l'heure de Facebook, l'amitié se voit également assortie d'une dimension sportive: 643 amis valent mieux que 123. Les médias sociaux ont élargi l'éventail de ses définitions: d'un côté, l'ami Facebook que l'on connaît seulement de vue – ou même moins que cela –, de l'autre, le modèle idéal qu'est l'ami intime, âme sœur de toute une vie. 98% des amis Facebook sont en fait des connaissances. Mais ce mot sonne trop terre-à-terre pour bâtir un empire. Un empire exige un mythe qui réchauffe les coeurs, des amis justement. Le français permet une gradation plus fine des mots que l'allemand: entre l'ami – der Freund – et la simple connaissance – der Bekannte –, il y a le copain. L'allemand a certes le Kumpel, le pote, mais lui confions-nous vraiment tout ? « Chambre d'amis » souhaite examiner plus en détail cette sémantique. Et le théâtre est le laboratoire idéal pour observer les relations humaines sous toutes leurs coutures. Nous disposons pour ce faire d'un matériel surabondant: nous avons tous des amis et sommes chacun l'ami de quelqu'un. Nous en avons perdu, découvert de nouveaux, trahi certains aussi. Des amis nous ont trahis et déçus et nous nous sommes ensuite éloignés d'eux. Ou nous faisons comme si de rien n'était, et maintenons notre amitié quand bien même elle se lézarde. Nous avons pleuré sur l'épaule d'un ami et « vu un ami pleurer », comme le chante Jacques Brel. Au cours de nos vies, nous sommes devenus ce que nous sommes du fait de nos amis: lorsque nous sommes attirés par certaines personnes, que nous aimons passer du temps et partageons tant avec elles, celles-ci déterminent alors largement les idées et les influences auxquelles nous sommes exposés. Les francophones enfin ont même une « chambre d'amis » qui leur permet d'accueillir leurs amis – ce que les germanophones n'ont malheureusement pas, eux qui n'ont de chambre que pour leurs invités, la Gästezimmer.